Je ne parlerai pas des obsèques de Jean-Luc : de ce
temps où tous nous devions faire bonne figure aux personnes venues lui rendre
hommage au funérarium, lors de sa messe d’enterrement puis au crématorium.
Le paradoxe c’est qu’il s’agit d’un temps de recueillement
où l’on se sent heureux, malgré notre peine, de lui connaître tant d’amis. J’avais
ressentie le même émoi lors des funérailles de ma fille Céline où l’église trop
petite n’avait pu accueillir cette foule de personnes venues nous soutenir dans
l’épreuve. Je sais qu’alors, j’avais regardé le ciel et j’avais prononcé tout
bas « Regarde mon enfant comme tu étais aimée ! »
Je parlerai plutôt de l’après, quand chacun repart à ses
occupations, à sa vie. La maison me paraissait grande, vide, sans âme.
Dieu que j’aurai voulu savoir pleurer dans ce temps de
solitude extrême où je te voyais partout, je te cherchais en vain. Qu’il fait
mal ce temps où seule, envahie d’un silence ténébreux, lorsque plus un mot ne
sort de votre bouche, lorsque vos yeux restent secs, vous êtes là, démunie, ne
sachant que faire.
Tout le poids de l’inutilité de ma vie faisait ployer mon
pauvre corps. Je m’allongeais dans la position du fœtus, en tenant fermement
ton chapeau sur mon cœur.
Je ne savais plus qui j’étais ; je n’étais plus rien
sans toi… Se lever, se laver étaient au dessus de mes forces. Je voulais qu’on
oublie jusqu’à mon existence pour pouvoir m’endormir à jamais…L’idée obsessionnelle
de te rejoindre envahissait ma vie… Bien triste mot, « ma vie » !
Pour qui, pour quoi ???
Les enfants me disaient « On est là, on a besoin de
toi, tes petits enfants ont besoins de toi » mais je ne parvenais pas à me
raccrocher à cette idée…Les enfants ont besoin de leurs parents, moi je n’étais
qu’un substitut bien navrant.
Je relisais sans cesse les mots griffonnés par Céline
dans son cahier, ultime cadeau qu’elle m’avait laissée…
Être ou ne pas être
Être ou ne pas être, c'est là la question.
Être ou ne pas être, c'est là la question.
Y a-t-il plus de noblesse d'âme à subir
La fronde et les flèches de la fortune outrageante,
Ou bien à s'armer contre une mer de douleurs
Et à l'arrêter par une révolte? Mourir... dormir,
Rien de plus;... et dire que par ce sommeil nous mettons fin
Aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles
Qui sont le legs de la chair: c'est là un dénouement
Qu'on doit souhaiter avec ferveur. Mourir... dormir,
Dormir ! Peut-être rêver! Oui, là est l'embarras.
Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort,
Quand nous sommes débarrassés de l'étreinte de cette vie ?
Voilà qui doit nous arrêter. C'est cette réflexion-là
Voilà qui doit nous arrêter. C'est cette réflexion-là
Qui nous vaut la calamité d'une si longue existence.
Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les dédains du
monde,
L'injure de l'oppresseur, l'humiliation de la pauvreté,
Les angoisses de l'amour méprisé, les lenteurs de la loi,
L'insolence du pouvoir, et les rebuffades
Que le mérite résigné reçoit d'hommes indignes,
S'il pouvait en être quitte avec un simple poinçon?
Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner
Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner
Et suer sous une vie accablante,
Si la crainte de quelque chose après la mort,
De cette région inexplorée,
D'où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté,
Et ne nous faisait supporter les maux que nous avons
Par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas?
Ainsi, la conscience fait de nous tous des lâches;
HAMLET
ne se posait ‘il pas les bonnes questions ? Shakespeare avait-il vu juste en présentant la mort, non comme une bête
immonde mais comme la légitime option d’une vie entachée par le malheur : « Et à l'arrêter par une révolte?
Mourir... dormir,
Rien de plus;... ».
Et si je portais en moi ce malheur, et si j’étais le
malheur, n’allais-je pas courir le risque de contaminer ceux que j’aime. Savoir
partir, ne pas être lâche face à cet au delà dont nous ne savons rien…
Une tentative avortée, trois jours d’amnésie totale…et
puis les larmes de ceux qu’on ne veut surtout pas faire souffrir…et puis l’amour
porté par ceux qui m’environnent…et puis toi mon amour qui me susurre « Je
ne veux pas de toi maintenant, il est trop tôt, je t’ai confié une mission, tu
as tant à faire encore…Tu es mon « porte-amour ». Tu dois poursuivre
le chemin que je t’ai tracé et il y a tant à faire…. ».
Je suis là aujourd’hui et j’ai tant à faire, à
accomplir mon devoir de mémoire, à donner encore et toujours l’amour qui vibre en
moi, dans ce cœur meurtri mais vivant. Je crois en ta tendresse au-delà de la
mort, je crois en l’amour qui nous a unis et qui porte en lui les semences d’une
autre vie pleine de toi.